Dans leur livre 20 Questions improbables sur le foot, les économistes Bastien Drut et Richard Duhautois analysent l’impact des compétitions sportives sur la productivité des traders. Ils mettent en évidence le caractère désincitatif du football et sa capacité à perturber le travail des spécialistes de la finance. Et si la prochaine coupe du monde avait un impact sur la bourse et l’activité des traders en créant une crise financière ? Décryptage.
Le marché boursier est extrêmement fluctuant et varie en fonction des données macroéconomiques internationales. Or, l’histoire récente nous a montré que les cours pouvaient être perturbés par des accidents intérieurs, liés directement aux comportements des agents : une trop forte prise de risque, une attitude mégalomaniaque, etc.
ÉQUILIBRE ABSOLU DU MARCHÉ FINANCIER
En théorie, le principe de l’efficience des marchés sévit sur la bourse. Cette hypothèse, définie par l’économiste Américain Eugène Fama, considère que, grâce à la diffusion instantanée de l’information, les opérateurs réagissent correctement et quasi immédiatement aux variations s’ils ont la capacité cognitive de les interpréter avec justesse. En conséquence, les cours équivaudraient toujours au juste prix.
Théoriquement, cela fait donc du marché financier le lieu le plus efficient possible. Néanmoins, pour que ce principe soit respecté, il faut admettre une parfaite disponibilité informationnelle des agents et une rationalité absolue, tout du moins adaptative. Les traders deviennent alors ces « autistes », totalement indépendants du monde qui les entoure, à l’affut de la moindre nouvelle, de l’évolution du PIB au Venezuela à la révolte des paysans Papous et ce sans aucune considération extérieure.
LES DROGUES RESPONSABLES DES CRISES ?
En 2008, lors de la dernière crise financière, le toxicologue Britannique David Nutt affirmait que la cocaïne avait pu, d’une certaine manière, altérer les comportements rationnels des traders et provoquer l’un des plus grands cracks de l’histoire économique moderne. La drogue agissait sur le raisonnement de l’individu en bloquant ses capacités cognitives à calculer le risque encouru et à lui octroyer une confiance absolue dans son action.
Des décisions irrationnelles furent alors prises – on pense par exemple aux milliards perdus par Jérôme Kerviel – synonyme de mégalomanie et d’égoïsme. Le récent film « Le loup de Wall-Street », avec Léonardo Di Caprio, illustre ce phénomène comportemental ; alors que des agents doivent prendre les meilleures décisions possibles pour la collectivité, la trop forte consommation de drogues conduit à un aléa-moral dans les relations de consentements : le contrat entre les deux parties n’est pas respecté.
DES SUPPORTERS AVANT D’ÊTRE DES ROBOTS
Mais c’est par une variable qualitative qu’est biaisé le concept d’efficience du marché : les traders ne sont pas des automates parfaitement rationnels capables de prendre les meilleures décisions possibles, avec la plus grande productivité. Ils sont influencés par leur environnement.
Chez Drut et Duhautois, un risque supplémentaire qui influencerait l’environnement des traders pourrait venir du football et du sport en général. Les traders étant aussi des supporters férus de compétitions sportives, une récente étude a constaté un manque de participation boursière lorsqu’une équipe nationale joue un match de football. Les professionnels de la finance se distraient pendant une rencontre et en oublient le cours boursier.
Cette étude montre qu’en moyenne, à la coupe du monde 2010, il y avait ainsi une baisse de 45% des transactions par minute lorsqu’une équipe était sur le terrain. Et le volume de transactions baissait de 55%. Les traders semblent totalement déconnectés de leurs réalités professionnelles durant une grande compétition sportive. Ils libèrent le marché et vont regarder le match autour d’une bière.
Cela a encore plus d’effet lorsque le score évolue. Sans aucune considération nationale, Drut et Duhautois montrent que l’activité des marchés boursiers baisse de 5% en moyenne par but marqué. Et cette baisse se maintient pendant 30 à 45 minutes après la fin du match ! Les agents, obnubilés par le résultat, passent du temps à en débattre.
CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DURABLES ?
Quel risque alors pour la stabilité des cours et l’efficience du marché ? Si les prix affichent la juste valeur du fait de la parfaite circulation de l’information, stopper le travail pendant plus de 90 minutes perturbe les grandeurs économiques et peut conduire à une bulle financière.
Dans le même temps, ne peut-on pas craindre une causalité de la rencontre sur la variation des titres ? En plus de perturber les traders, le football pourrait agir directement sur leur mental, en cas de défaite ou de victoire, et biaiser la fiabilité d’une valeur.
Toujours dans le livre 20 questions improbables sur le football, une étude de Edmans, Garcia et Norli montre que la bourse d’un pays « baisse de façon significative lors d’une défaite de la sélection nationale ». Et cette baisse est d’autant plus importante lorsqu’il s’agit de matchs à enjeux comme lors de la coupe du monde, à élimination directe.
Ainsi, le football et la bourse sont deux univers corrélés : une rencontre pourrait altérer la concentration des traders et le résultat bouleverse des cours pourtant devant refléter le prix juste. Une demi-finale perdue aux prolongations peut donc faire plonger un pays dans une crise financière, statistiquement. Pendant 165 minutes (120 minutes de match + 45 minutes de débat) les intervenants du marché ne seront focalisés que sur le match et, en cas de défaite, la déprime ambiante s’installera, facteur d’incertitude et de comportements irrationnels.
Si l’ébranlement de 2008 peut avoir été causé par la consommation excessive de cocaïne, le prochain pourrait-il avoir comme origine la coupe du monde de football ? De prime abord, si le lien bourse-traders-football peut paraitre incongru, l’analyse révèle donc qu’il existe une corrélation entre ces variables ; reste à savoir à quel point le lien de causalité peut-être établi.
C’est une question sérieuse qui anime les autorités organisatrices des événements. En tout cas, en 2012, les autorités Britanniques, afin de prévenir tout risque, ont suspendu les émissions de titres pendant les Jeux Olympiques de Londres.
Que va faire le Brésil pour la prochaine coupe du monde ?